Bertrand Cantat pourra-t-il être admis au Canada?
Anne Michaud , Marco Bélair-Cirino 6 avril 2011 Actualités culturelles
Le musicien français Bertrand Cantat, qui a battu à mort sa compagne Marie Trintignant il y a près de huit ans, sera vraisemblablement contraint de tourner les talons dès qu'il posera le pied en sol canadien, selon des spécialistes en droit de l'immigration consultés par Le Devoir.
L'ancien chanteur, dont la venue sur les planches du Centre national des arts (CNA) et du Théâtre du Nouveau Monde (TNM) suscite la controverse en raison de sa culpabilité à l'accusation d'homicide involontaire, en Lituanie, en mars 2004, serait sans doute «interdit de territoire» au Canada.
«Il ne pourrait pas entrer au Canada», soutient la professeure titulaire de la Faculté de droit de l'Université de Montréal France Houle. «Il fait face à une "interdiction de territoire" parce qu'il a été déclaré coupable d'un crime passible d'une peine d'emprisonnement de plus de dix ans, selon le droit canadien», explique-t-elle, tout en brandissant la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés.
L'avocate spécialisée en droit de l'immigration Isabelle Dongier abonde dans le même sens. «M. Cantat devrait effectivement être toujours interdit de territoire en raison de sa condamnation. Il n'est probablement pas encore admissible à demander une déclaration de réadaptation à Immigration Canada pour lever cette inadmissibilité. Cette option n'est disponible, selon la nature de l'infraction commise, qu'après une période de cinq à dix ans après que la peine a été purgée.»
Il s'agit toutefois d'une «question qui demanderait une analyse détaillée», avertit Me Dongier, du cabinet d'avocats Fasken Martineau DuMoulin.
Néanmoins, Bertrand Cantat pourrait demander au ministre fédéral de l'Immigration de lui accorder un permis de séjour temporaire afin d'être admis au pays malgré l'«interdiction de territoire». «Ça relève de la discrétion du ministre», précise Me France Houle. Sa demande serait alors examinée par un fonctionnaire. Celui-ci rédigerait par la suite une recommandation favorable ou défavorable à l'endroit de M. Cantat, puis l'acheminerait au ministre, qui lui trancherait. «Ce type de permis n'est pas accordé de façon automatique, loin de là. Tout dépend des circonstances du cas», fait remarquer Me Isabelle Dongier.
D'ailleurs, si on se fie strictement aux informations affichées sur le site Web de Citoyenneté et Immigration Canada, il semble peu probable qu'une recommandation positive soit acheminée au ministre; en effet, on indique qu'un délai de cinq à dix ans depuis la fin de la peine doit s'être écoulé pour qu'un condamné soit admissible à une «réadaptation présumée» et qu'autrement, un permis de séjour ne peut être délivré que pour «des raisons d'intérêt national ou de solides motifs humanitaires».
Malgré cette épée de Damoclès au-dessus de la tête, Bertrand Cantat a effectué au moins un séjour au Canada au cours des derniers mois afin de travailler à la trame musicale du Cycle des femmes. Son entrée au pays n'a alors posé aucun problème, indique une source du Devoir.
Il est probable que son entrée n'ait pas attiré la suspicion des agents des douanes puisque l'artiste détient un passeport de la République française. De plus, il a été dispensé de soumettre une demande de visa pour séjourner au Canada, à l'instar des autres citoyens français.
En revanche, la situation risque fort d'être différente lorsque Bertrand Cantat tentera de franchir les douanes canadiennes au printemps 2012, maintenant que sa participation au projet de Wajdi Mouawad suscite la controverse.
Depuis l'annonce lundi de sa venue au Canada dans le cadre de la présentation de trois tragédies de Sophocle, regroupées sous le titre de Cycle des femmes, mises en scène par Wajdi Mouawad, un débat fait rage quant à la pertinence d'ouvrir grandes les portes du CNA et du TNM à l'ancien chanteur de Noir Désir.
Hier, la directrice du TNM, Lorraine Pintal, continuait de défendre vigoureusement la décision d'inclure le «rockeur» dans le choeur grec, alors que le metteur en scène Wajdi Mouawad, au premier titre responsable de cette décision, se terrait dans le mutisme.
La trilogie sera présentée au Théâtre français du Centre national des arts — où M. Mouawad est directeur artistique —, avant d'être présentée au TNM.
«On a beaucoup réfléchi à la question. Compte tenu du fait qu'il a été jugé, par un juge et par des jurés, et qu'il a été libéré, et qu'on croit que la société lui a envoyé le message qu'il a purgé sa peine et qu'il est en pleine période de réintégration, on croit que nous ne sommes pas aptes à juger une deuxième fois Bertrand Cantat», répétait hier Mme Pintal, qui s'est dite surprise de la «tempête médiatique» qui fait rage.
À Québec, la ministre de la Culture, des Communications et de la Condition féminine, Christine St-Pierre, s'est refusée à tout commentaire sur la distribution du spectacle de clôture de la prochaine saison du TNM.
Même en sa qualité de responsable de la Condition féminine, Mme St-Pierre juge que la présence sur les planches du TNM d'un homme coupable d'avoir battu à mort sa compagne ne la regarde pas. «Je n'ai pas à faire de commentaire sur les choix artistiques, je suis très claire là-dessus», a-t-elle dit à la Presse canadienne. «Ce n'est pas ma job [de commenter la programmation du TNM] et si je le faisais, vous me diriez que je me mêle de ce qui ne me regarde pas», a-t-elle ajouté.
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Anne Michaud est collaboratrice du Devoir
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