Ma liste d'épicerie
Lise Payette 22 avril 2011 Élections 2011
Moi, j'achète Québec. Si c'est bon dans mon panier d'épicerie, c'est bon pour ma survie et mon épanouissement aussi. J'achète Québec parce que j'aime le goût de ce qu'on me propose et que j'aime l'idée selon laquelle si c'est produit près de chez moi, ça me ressemble plus que si ça vient d'ailleurs. Jamais une pomme de l'Alberta ne goûtera ce que goûtent les pommes d'Oka; jamais une fraise de Colombie-Britannique ne sera meilleure qu'une fraise de l'île d'Orléans.
Tout le monde le fait... fais-le donc! Cette ritournelle qui a fait les beaux jours de la station de radio CKAC à une autre époque m'a inspirée. J'ai donc décidé de suivre l'exemple de Gérald Tremblay, maire de Montréal, de Régis Labeaume, maire de Québec, des maires de Saguenay, de Trois-Rivières et de toutes les autres villes ou villages qui se sont mis à genoux, plus ou moins discrètement, lors du passage de Stephen Harper dans leur coin. Les demandes sont nombreuses. Et coûteuses.
Un aréna par-ci, un aéroport par-là, un train rapide pour aller en Ontario (pourquoi pas New York, à la place?), des tramways, des emplois, des ponts... la liste est pratiquement interminable. Nous sommes en période électorale, c'est le temps d'en profiter. Sauf que pour ne pas être déçu, il faut faire le tri de ses demandes. On ne peut pas demander n'importe quoi. Il faut cibler. Je suis convaincue que si le maire Labeaume avait réclamé la construction d'une belle grosse prison moderne au lieu d'un aréna, l'accueil de Stephen Harper aurait été plus chaleureux. Il faut connaître son Père Noël.
Le Père Noël, lui, demande toujours si les enfants ont été sages. C'est un préalable pour avoir droit de faire ses demandes. Les politiciens ne sont quand même pas plus naïfs que le Père Noël lui-même. Il faut leur prouver qu'on a été sage si on veut qu'ils fassent preuve de générosité. Surtout Stephen Harper, qui a tendance à être sourd d'oreille quand les demandes viennent du Québec.
Juste à écouter les nouvelles, nous savons déjà qu'il faut être dans les bonnes grâces de Mister Harper pour espérer que la manne va tomber sur nous. Ce n'est pas le politicien le plus généreux que l'on connaisse. Il suffit de le voir annoncer, la bouche en coeur, que si tout va bien, il pourrait envisager de nous faire quelques petits cadeaux dans trois ou quatre ans, seulement quand il aura eu le temps de se vautrer dans une majorité sans partage, ce qu'il désire plus que tout au monde.
Le pouvoir, tel qu'il l'a pratiqué jusqu'à maintenant en dirigeant un gouvernement minoritaire, ne lui a pas donné satisfaction. Il veut plus. Beaucoup plus. Il veut la liberté de faire à sa tête, sans devoir s'expliquer, sans se soucier des pieds qu'il écrase en grimpant vers les sommets. Les petits scandales qui entachent sa gouverne le laissent de glace. Il ne reconnaît jamais qu'il a pu se tromper, il ne fait jamais d'excuses, il s'isole de plus en plus, entouré d'un grand nombre de béni-oui-oui cravatés qui ne le contestent jamais et bénissent son leadership. On ne l'aime pas. On a toutes les raisons de le craindre.
L'aristocrate Michael Ignatieff n'a rien à mettre dans mon panier d'épicerie. Cet homme de bonne volonté, probablement intègre, citoyen du monde d'une certaine façon, aurait plus de chances d'être élu tsar de toutes les Russies que premier ministre du Canada. S'il n'a pas touché nos âmes de poètes québécois, imaginez l'effet qu'il doit avoir en Alberta ou en Saskatchewan. La mode au Canada n'est pas aux intellectuels en politique. Pas en ce moment. On en a déjà eu. On n'en a pas gardé un souvenir impérissable.
Le genre «Jack of all trades» comme celui qu'affiche Jack Layton, décontracté, facile d'accès, peut séduire... temporairement. Il séduit davantage en ce moment par son côté fragile que lui impose son état physique et notre petit côté «soeur de la Charité» qui sent le besoin de lui accorder son moment de gloire ne serait-ce que par crainte que ce soit le dernier qui lui soit donné. La maladie fait tellement peur qu'elle suscite chez les bons citoyens le goût de la braver et de lui tenir la dragée haute. Personne ne souhaite de mal à Jack Layton, mais il est aussi évident que le meilleur service à lui rendre serait de le laisser refaire ses forces hors de la politique.
Si bien que dans mon panier d'épicerie, je ne garderai que Gilles Duceppe. Parce qu'il est le fils de Jean qui était mon ami, parce qu'il n'a jamais plié l'échine, parce qu'il n'a rien d'une girouette, qu'il est un homme de parole et de droiture et que nous partageons la même passion pour le Québec et pour ceux et celles qui le choisissent et le défendent. Ainsi va la vie.
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