La crédibilité économique de Jack Layton est mise à rude épreuve
Thunder Bay (Ontario) — La crédibilité économique du chef du NPD, Jack Layton, a été mise à rude épreuve aujourd'hui. Son parti a dû reconnaître que la totalité de ses promesses en matière environnementale sont conditionnelles à la mise en place d’un système d’échange de crédits d’émissions polluantes entre entreprises, qui pourrait prendre des années avant de voir le jour. Les 3,6 milliards de dépenses promises par M. Layton sont, d’ici là, compromises.
Le chef libéral, qui voit ses appuis grugés par son adversaire néodémocrate depuis quelques jours, n’allait pas rater si belle occasion de mettre de l'avant son parti comme seule véritable solution de rechange crédible à Stephen Harper. «Nous avons un NPD qui fait des choix qui ne tiennent pas la route», a lancé Michael Ignatieff ce matin lors de son passage à Thunder Bay, terre justement devenue néodémocrate en 2008.
«C’est la première fois en campagne électorale qu’un chef de parti dément sa propre plateforme électorale deux semaines après l’avoir signée. M. Layton l’a signée, il y a deux semaines et maintenant il en dément un élément crucial de 3,6 milliards de dollars. C’est du jamais vu et ce n'est pas crédible.»
Le programme néodémocrate prévoit des dépenses en environnement de 3,5 milliard de dollars la première année, de 4,3 milliards la seconde et de 6,2 milliards pour chacune des deux années suivantes. La totalité de ces dépenses serait financée par l’instauration d’un régime de plafonds et d’échange de crédits d’émissions de carbon entre les entreprises émettrices. Même qu’un surplus est prévu, qui représenterait le tiers des excédents prévus dans le programme néodémocrate.
Mais voilà: au cours de la fin de semaine, le NPD a émis un communiqué de presse reconnaissant qu’une telle bourse du carbone pourrait prendre du temps à mettre en place. Certains experts parlent de plusieurs années. «Si les revenus de la fixation d’un prix pour le carbone sont retardés ou moins élevés que prévu, les investissements seront également retardés ou seront faits de façon plus progressive», écrit le NPD dans ce communiqué.
Des promesses environnementales mises en péril
Les initiatives mises en péril par cette admission sont nombreuses. On parle notamment du demi-milliard promis chaque année pour améliorer le transport en commun, les 500 millions par année pour offrir des maisons écoénergétiques abordables, les 375 millions par année offerts pour créer des emplois verts, les 200 millions annuels pour la rénovation écoénergétique des logements, une somme équivalente pour les infrastructures fédérales-provinciales, un autre 200 millions encore pour offrir de l’eau potable aux communautés autochtones. Au total, les promesses environnementales du NPD sur quatre ans se chiffrent à 20,2 milliards de dollars. Le NPD refuse de dire lesquelles de ces promesses seraient mises sur la glace advenant un délai.
Le NPD a indiqué aujourd'hui qu’il restait confiant de pouvoir dégager ces revenus rapidement, tel que prévu. «Notre but, c'est de réussir à amasser tout cet argent», a répondu Jack Layton, qui se trouvait à Terre-Neuve. «Ça prend de la volonté politique, c'est cela que ça prend.» Son porte-parole, Marc-André Viau, a ajouté que «plusieurs compagnies, dont Shell, prévoient le coût du marché du carbone dans leurs décisions d’investissements. Dès que les enchères vont débuter, les revenus vont commencer à entrer.» Le NPD estime pouvoir mettre en place sa bourse du carbone, à 45 $ la tonne d’émissions, en seulement 11 mois. Les autres régions du monde ayant pris cette voie ont mis des années à y parvenir.
Promesses libérales
Le Parti libéral s’engage lui aussi dans son programme à mettre sur pied une bourse du carbone, mais les revenus hypothétiques qui pourraient découler éventuellement de la vente des crédits de pollution ne sont pas comptabilisés. Le PLC ne compte pas sur ce système pour financer ses promesses électorales. «Nous avons passé un an et demi à concevoir ce programme, a indiqué Michael Ignatieff. Nous ne faisons aucune promesse que nous ne pouvons pas tenir. [...] Si vous demandez aux Canadiens de vous appuyer, vous devez fournir des réponses sérieuses à des questions sérieuses. C’est une conversation d’adultes!»
En matinée, le PLC a lancé une nouvelle publicité présentant le chef conservateur Stephen Harper et M. Layton comme deux faces d’une même pièce de monnaie. Le ton est agressif et similaire aux publicités auxquelles le Parti conservateur a habitué les Canadiens. Le PLC remonte le temps pour justifier cette publicité, rappelant qu’en 2005, le NPD et le Parti conservateur avaient tous deux voté contre le budget libéral qui devait financer un vaste programme national de garderies. Le pays avait alors été plongé en élection. Ce programme a été aboli par les conservateurs. N’eut été de Jack Layton, a répété M. Ignatieff, un tel programme existerait et les listes d’attente auraient raccourci. «Merci Jack!», a-il raillé.
Le chef libéral doit maintenant se battre sur deux flancs, gauche et droit, lui qui se voit rattrapé par le NPD pour la seconde place dans les sondages, tandis que Stephen Harper continue de gagner du terrain. «Je ne me sens pas coincé», a soutenu M. Ignatieff. «Nous ne sommes pas un parti de gauche et nous ne sommes pas un parti de droite. Nous sommes un parti de gouvernement qui a l’expérience de gouverner et de faire des choix difficiles.»
Ce n’est cependant qu’avec beaucoup de réticence qu’il accepte de parler des conséquences d’un vote néodémocrate fort. «Je ne veux pas offrir un message négatif, [mais les gens doivent savoir que] s’ils votent pour les autres partis, ils vont avoir quatre autres années, ou je ne sais pas combien d’années de plus, de M. Harper. Et s’il y a un autre gouvernement Harper, il n’y aura pas de places en garderies, il n’y aura pas d’aide pour les gens qui veulent aller à l’université et il n’y aura pas d’aide aux aidants naturels.»
Jack Layton a qualifié d’«absurde» cette idée que son succès pourrait paradoxalement conduire à l’élection d’un gouvernement conservateur majoritaire.
Dodo en parle
Par ailleurs, M. Ignatieff et l’équipe libérale étaient ragaillardis après la diffusion de la populaire émission Tout le monde en parle, à laquelle participait M. Ignatieff. On a notamment demandé au chef libéral pourquoi il a choisi de faire campagne, au cours de la semaine, avec Jean Chrétien, alors que ce dernier était en poste à l’époque du scandale des commandites. L’entrevue s’est malgré tout conclu sur une note positive quand la comédienne Dominique Michel a dit qu’elle aimait bien Michael Ignatieff et que si les gens ne voulaient plus de Stephen Harper, ils avaient une véritable solution de rechange.
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