Du cannabis pour nettoyer les sols radioactifs au Japon
Nouvelles générales - Science
Écrit par Louis M. Gagné
Mardi, 03 mai 2011 13:17
Utiliser du cannabis pour décontaminer les sols souillés par l’accident nucléaire de la centrale japonaise de Fukushima ? L’idée, qui circule depuis quelques semaines dans la blogosphère chez les adeptes de la culture de la marijuana, peut paraître farfelue, mais elle a pourtant fait ses preuves à Tchernobyl.
Des spécialistes en décontamination avaient en effet testé l’efficacité du cannabis, et aussi du tournesol, pour nettoyer dans les années 1990 les terres contaminées aux éléments radioactifs (ou radionucléides) près de la centrale ukrainienne à la suite de l’explosion du réacteur nucléaire, survenue en 1986.
L’idée était de planter des espèces végétales qui ont une forte capacité de bioaccumulation – dites hyperaccumulatrices – pour que leurs racines absorbent les contaminants pour les stocker en leurs parties aériennes, lesquelles seraient ensuite récoltées puis incinérées.
Si l’utilisation du cannabis peut faire sourire, le procédé, lui, est tout ce qu’il y a de plus sérieux. De quoi s’agit-il exactement ? De la phytoremédiation, une technique de décontamination des sols méconnue ici, mais qui gagne en popularité.
Slavik Dushenov, un spécialiste en biologie végétale et écologie de sols et l’un des premiers scientifiques à s’être intéressés à la phytoremédiation, avait participé à l’époque aux travaux menés par le gouvernement ukrainien pour décontaminer les sols en périphérie de Tchernobyl.
Et le cannabis s’était montré capable d’extraire du sol les radionucléides présents à Tchernobyl – les mêmes qu’à Fukushima –, soit le césium 137, le strontium 90 et l’uranium.
« Nous avons démontré à Tchernobyl que la phytoremédiation par le chanvre est une technique possible pour enlever des radionucléides contenus dans les sols lorsqu’on est en présence d’une large surface faiblement contaminée », explique dans un entretien avec Rue Frontenac M. Dushenkov, aujourd’hui directeur associé au Biotech Center de l’École des sciences biologiques et environnementales de l’Université Rutgers, dans le New Jersey.
À son avis, la phytoremédiation pourrait être utile pour décontaminer les terres japonaises puisqu’elle est une technique avérée en gestion environnementale. « Cela pourrait être fait avec du cannabis ou tout autre plante hyperaccumulatrice, du moment qu’elle est adaptée aux caractéristiques du sol et au climat de cette région », dit Slavik Dushenov.
Hydrocarbures, solvants, métaux lourds
L’idée d’utiliser la phytoremédiation a d’ailleurs été avancée il y a quelques semaines par le Commissariat à l’énergie atomique, un organisme public français qui apporte présentement son expertise en nucléaire aux autorités japonaises, selon le quotidien français Midi libre.
« Cette technique est relativement récente au Québec, mais elle peut être très efficace pour nettoyer les sols contaminés aux hydrocarbures, aux solvants, aux pesticides et aux métaux lourds comme les radionucléides », explique Michel Labrecque, chercheur à l’Institut de recherche en biologie végétale de l’Université de Montréal et chef de division en recherche et développement scientifique au Jardin botanique de Montréal.
Difficile de dire pour l’instant si le cannabis – ou plus précisément le chanvre industriel, donc exempt du fameux THC qui procure l’effet psychotrope – serait approprié pour le Japon.
Mais il possède assurément les caractéristiques d’une plante hyperaccumulatrice. « Il est caractérisé par une croissance rapide et une grande biomasse, et ce, même en milieu contaminé. Il a la capacité de séquestrer les métaux lourds par ses racines pour ensuite les pomper vers sa tige, ses feuilles et ses fleurs », explique Philippe Giasson, professeur associé en sciences de la Terre et de l’atmosphère à l’Université du Québec à Montréal (UQAM).
« Certaines espèces ont la capacité d’absorber jusqu’à 3 % de leur poids sec », précise le chercheur, qui dirige Enutech, une firme spécialisée dans la décontamination des sols.
Processus long mais peu coûteux
D’autres espèces végétales ont déjà fait leurs preuves avec les métaux lourds. C’est notamment le cas des plantes appartenant à la famille des composées (tournesol, chicorée), des brassicacées (colza, chou), des graminées (bambou, maïs), de même que certains arbres et arbustes, entre autres certaines espèces de peupliers et de saules.
Si l’avantage de la phytoremédiation réside dans le processus naturel de la chose, l’absence de perturbation des sols et son faible coût, elle comporte certains désavantages. Le processus peut être très long. « La phytoremédiation n’est peut-être pas appropriée si on veut nettoyer un sol rapidement. Pour les sols très contaminés, ça peut prendre jusqu’à 50 ans », indique Michel Labrecque.
Il faut aussi éviter que les animaux consomment les végétaux et il faut bien entendu s’en débarrasser puisque les plants se retrouvent à leur tour contaminés. « Les plantes peuvent être incinérées à basse température (environ 500 °C) afin que seule la matière organique et non les contaminants brûle. Ils se trouvent alors concentrés dans les cendres. C’est une matière dangereuse à gérer, mais c’est mieux que d’avoir à gérer des tonnes de terre contaminée », explique Philippe Giasson.
En raison des limites de la phytoremédiation, les plantes sont souvent utilisées parallèlement avec différentes technologies pour nettoyer les sites contaminés, telle l’excavation. Reste à savoir maintenant quelle technique sera privilégiée par les autorités japonaises.
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