Vendredi 29 juillet 2011
Famine en Somalie: Pas d'amélioration avant 6 mois
Marie Desnos - Parismatch.com
L'ensemble du sud de la Somalie est en train de basculer dans une situation de famine. Les réunions internationales organisées à la hâte ont déçu, et malgré le pont aérien sur Mogadiscio l'aide humanitaire ne suffit pas à endiguer les besoins, chaque jour plus importants.
Le bout du tunnel est encore loin en Somalie. Lundi, sous l’impulsion de la présidence française du G20, l'Organisation des Nations unies pour l'agriculture et l'alimentation avait convoqué d’urgence une réunion à Rome. Deux jours plus tard, une conférence de donateurs était organisée à Nairobi, la capitale du Kenya. Mais au bout du compte, ces grands rendez-vous censés endiguer la pire crise alimentaire qui sévit sur le continent africain depuis vingt ans, ne semblent pas abouti à de grandes solutions. Ce que Thomas Gonnet, directeur des opérations d’Action Contre la Faim, a confirmé à ParisMatch.com.
Qu’ont donné ces réunions de Rome et de Nairobi?
Il y a eu beaucoup de débats mais pas beaucoup de décisions, pour ne pas dire pas du tout.
Quelques idées ont été discutées, notamment la création d’un fonds spécial pour gérer les crises humanitaires de ce type, comme l’avait préconisé Bruno Le Maire. Il est temps en effet de mettre en place des stocks qui pourraient être libérés immédiatement en cas de besoin. La Banque européenne d’investissement (BEI) en collaboration avec l’Agence française de développement (AFD) vient dans cette optique de lancer le Fonds européen de financement solidaire pour l’Afrique (FEFISOL), d’un montant de 15 millions d’euros.
Il a également été question de l’eau potable, on a parlé de développer des systèmes d’irrigation, des semences qui pourraient résister au climat aride, et de la nécessité d’investir dans la recherche.
Il faut un cessez-le-feu
Vous attendiez-vous à mieux?
Oui, on s’attendait à ce que les discussions tiennent compte de l’environnement somalien, le pays étant enlisé dans un conflit politique qui ne peut être ignoré puisqu’il a des effets directs sur la population et l’aide humanitaire.
Il faudrait envisager un cesser le feu pour faciliter l’accès des vivres, les conditions d’organisation de ces camps de réfugiés.
On attendait une mobilisation plus concrète des bailleurs de fonds, non seulement pour pouvoir leur fournir de la nourriture, mais aussi des moyens supplémentaires pour permettre à la population d’acheter de la nourriture sur place, car certes, il y a urgence, mais la crise ne pourra pas être réglée sans soutenir le commerce local. Il faudra bien, tôt ou tard, investir dans l’élevage agricole, soutenir la vaccination animale, préparer les semis dans l’optique de la réorganisation de l’économie locale.
Voulez-vous dire que l’urgence fait oublier les projets à long terme?
Je dis qu’il faut bien sûr des investissements à partir de maintenant, pour répondre à l’urgence, mais aussi dans la durée.
On a encouragé les initiatives qui visent à anticiper les risques (les politiques de prévention et de minimisation des risques). Malheureusement, ces initiatives sont soutenues par les bailleurs, mais pas financièrement.
Nous avons aussi encouragé les Nations unies à faire preuve d’excellence et d’efficacité, notamment en termes de transparence, de communication, de coordination. La rigueur doit être le mot d’ordre si nous voulons stimuler les bailleurs et nous faire accepter par les autorités locales.
Justement, comment se passe sur le terrain la mise en place du pont aérien sur Mogadiscio?
Action contre la faim a acheminé 24 tonnes d’aide humanitaire par avion il y a une semaine, et 65 tonnes de produits nutritionnels et autres vivres par la route depuis le Kenya pour renflouer les stocks. 700 tonnes supplémentaires arrivent par la route pour assurer les besoins d’environ 21 000 personnes dans les 2 prochains mois.
Quel est l’avantage de la voie aérienne?
L’acheminement par la route et la mer est un casse-tête administratif et logistique; la voie aérienne est intéressante du point de vue du délai. Or, l’urgence est telle, que le temps est compté. L’état de famine est tellement avancé que parfois, l’aide arrive trop tard.
En revanche, le tonnage est plus intéressant par la terre et l’eau.
Comment se passe la collaboration avec les miliciens d’Al-Chabaab? *
Les discussions se font organisation par organisation. En ce qui nous concerne, pour l’instant, les autorités locales sont disposées à nous laisser travailler. Les négociations se font au jour le jour. Les interlocuteurs changent régulièrement –du fait des pertes liées au conflit. Nous sommes tout de même sans cesse obligés de prouver que nous ne collaborons pas avec l’ennemi. C’est un long travail d’acceptation, que nous faisons aussi auprès des communautés locales, de femmes notamment.
Dépolitiser le travail humanitaire
La politique semble effectivement être un poids énorme pour le travail humanitaire.
C’est justement pour cela que nous devons absolument dépolitiser notre travail.
Pouvez-vous développer votre pensée?
Il y a un prérequis pour résoudre la crise de manière optimum, c’est l’Etat de droit.
Dans cette attente, il est important pour nous de maintenir le dialogue. Pour cela, il faut absolument que les principes humanitaires fixés par le Consensus européen sur l’aide humanitaire, convenu à Lisbonne en 2008 soient respectés, que notre neutralité soit totale. Nous ne faisons pas de prosélytisme. Il ne s’agit surtout pas de s’avancer dans une option militaro-humanitaire qui ne serait que nuisible.
A quel terme envisagez-vous une amélioration des conditions de vie en Somalie?
Ça fait des mois que ça dure, ça s’est aggravé ces dernières semaines. Il faudra 6 mois au moins pour stopper l’hémorragie et sauver des vies. Notre objectif, dans l’immédiat, est de faire survivre une population à cette sécheresse dramatique. Nous n’espérons pas de récolte avant la fin de l’année. Il faudra déjà que les Somaliens puissent semer, et donc qu’il pleuve.
La lenteur du processus signifie-t-elle que les leçons de la crise humanitaire des années 1990 n’ont pas été tirées?
Concernant la résolution du conflit, il est clair qu’il n’y a pas eu de grands progrès en 20 ans. Le système est explosé en diverses milices et communautés qui n’arrivent pas à se mettre d’accord, et il n’y a aucun gouvernement capable de fédérer.
Sur le plan climatique, le réchauffement de la planète s’impose à nous, et se traduit par des sécheresses répétées et difficiles à gérer. C’est pourquoi il faut réfléchir à la façon de s’adapter en zone désertique ou semi-désertique.
Sur le plan humanitaire, à force de catastrophes naturelles, les ONG sont au point en termes d’organisation, pour mettre en place rapidement des projets d’urgence. Le mécanisme est rôdé, les réflexes sont là. Il reste néanmoins à résoudre le problème des stocks pour améliorer la réponse humanitaire.
Quels sont les prochains rendez-vous internationaux pour résoudre la crise?
Je ne crois pas qu’il y en ait de prévu. Les bailleurs principaux, l’Union européenne, les Britanniques, restent mobilisés, les appels aux dons vont se poursuivre, mais vous savez, il n’y a pas besoin de conférences de donateurs ou autre réunion pour qu’un Etat ou une institution décide de débloquer des fonds. Nous espérons déjà que les promesses seront tenues.
Les bailleurs qui s’engagent à verser des fonds tiennent-ils, généralement, leurs promesses?
Pas forcément. Vous savez ce ne sont que des déclarations d’intention, qui peuvent être balayées par d’autres priorités.
* Depuis début 2010, les islamistes de la milice affiliée à Al-Qaïda Al-Chabaab avaient interdit aux ONG l'accès à certaines zones, principalement dans le Sud (au motif que leur présence entraînait l’effondrement des prix). Face à la gravité de la sécheresse, il avait été rapporté que le groupe armé avait récemment décidé de lever cette interdiction, mais certains ont démenti l’information.
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